Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Un matin je trouvai à ma porte un exemplaire d’une publication qui paraissait assez fréquemment alors. Cela s’appelait la Jeune Génération. Rien n’était plus inepte et révoltant. J’en fus agacé toute la journée.

Vers cinq heures du soir j’allais chez Nicolas Gavrilovitch. Il vint lui-même m’ouvrir la porte, me fit un accueil très gracieux et m’emmena dans son cabinet de travail.

Je tirai de ma poche la feuille que j’avais trouvée le matin et demandai à Tchernischevsky :

— Nicolas Gavrilovitch, connaissez-vous cela ?

Il prit la feuille comme une chose parfaitement ignorée de lui et en lut le texte. Il n’y en avait, cette fois, qu’une dizaine de lignes.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? me demanda-t-il en souriant légèrement.

— Hein ? Sont-ils bêtes ces gens-là ? fis-je. N’y aurait-il aucun moyen de les faire renoncer à ce genre de plaisanteries ?

— Mais vous figurez-vous que j’aie quoi que ce soit à faire avec eux, que je collabore à leurs sottises ?

— J’étais parfaitement certain du contraire, et je crois inutile de vous l’affirmer. Mais il me semble qu’on devrait les dissuader de continuer leur publication. Je sais bien que vous n’avez rien à faire avec les rédacteurs de cette feuille, mais vous les connaissez un peu, et votre parole a, pour eux, beaucoup de poids ; ne pourriez-vous ?…

— Mais je ne connais aucun d’entre eux.

— Ah ! du moment que vous me le dites !… Mais est-il nécessaire de leur parler directement ?… Est-ce qu’un blâme écrit venant d’un homme dans votre situation ?…

— Bah ! ça ne produira aucun effet. Tout cela est inévitable…

— Pourtant ils nuisent à tout et à tous…

À ce moment survint un nouveau visiteur, et je partis. J’étais parfaitement convaincu que Tchernischevsky n’était aucunement solidaire des mauvais plaisants. Il m’avait très bien reçu et vint bientôt me rendre ma visite. Il passa près d’une heure chez moi, et je dois dire que j’ai rarement vu de caractère plus doux et plus aimable que