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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

ça !… » Ce sont des amis de Moscou, Lévine les fait asseoir sous les arbres ; il leur offre du miel et des concombres ; Les invités s’attellent immédiatement au miel et à la question d’Orient. Tout cela se passe l’année dernière. La causerie s’échauffe vite. Les interlocuteurs, en dehors de Lévine, des dames et du vieux prince, sont un professeur de Moscou, homme aimable, mais un peu niais., et Serge Ivanovitch Koznisbev, frère utérin de Lévine. Ce dernier nous est présenté comme un homme d’esprit et d’une science immenses. Ce caractère nous est présenté avec art. C’est l’homme des « années quarante ». Serge Ivanovitch s’est jeté avec ferveur dan le mouvement Slave, et le Comité lui a imposé des tâches accablantes, si bien que lorsqu’on se rappelle ce qui se passait l’année dernière, on se demande comment il a pu trouver le loisir d’aller à la campagne. Il est vrai que si nous ne le voyions pas, il n’y aurait aucune conversation sur le mouvement populaire, et que cette huitième partie n’est guère écrite que pour cette conversation. Serge Ivanovitch a récemment publié un savant livre sur la Russie, qu’il préparait depuis longtemps et sur lequel il fondait de grandes espérances ; mais le livre a échoué ; presque personne ne s’en est occupé ; il a passé inaperçu. C’est alors que Serge Ivanovitch s’est jeté avec une telle ardeur dans l’agitation slavophile ; tous son enthousiasme pour les Slaves vient donc d’une ambition rentrée. Vous pressentez déjà que Lévine ne peut pas avoir raison quand il discute avec un tel personnage. Serge Ivanovitch, ailleurs, dans le roman, s’est montré sous un jour presque comique ; mais ici son rôle devient tout à fait clair. Il n’a été mis dans ce livre que pour servir finalement de piédestal à la grandeur morale de Lévine. Mais le caractère est très adroitement composé.

Par contre, un personnage assez marqué, c’est le vieux prince. Il est du reste mauvais tout le long du roman. Il est là pour tenir l’emploi d’homme positif. Il a ses faibles, voire ses ridicules, mais il est extraordinairement honnête. C’est l’homme « de bon sens » qui n’exclut pas l’humour ; l’auteur veut même qu’il