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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

haine. Un besoin de vengeance s’empare de ces pères et mères froissés de tant de négligente inattention, et il leur est facile, si facile de sévir avec impunité ! Ils en deviennent cruels non par férocité native, mais bien par paresse naturelle. Et voilà, cette dame si amie du repose, si incapable de se passer de petits esclaves chargés de lui gratter les talons, cette dame apathique devenue méchante parce qu’il lui faut quelquefois s’occuper du désordre de la maison. Elle saute du lit, empoigne un bâton et administre à son propre enfant une telle roulée que la servante déclare que c’était horrible à voir. Un des petits garçons vole dans la cuisine des pommes de terre pour sa sœur malade et affamée : on le bat pour avoir éprouvé un bon sentiment.

« Ah ! tu m’as désobéi ! Tiens attrape ! Je ne veux pas que tu joues au bon garçon en faisant à ta tête ; fait plutôt le mal si je te l’ordonne ! » Cela devient de l’hystérie.

Les enfants dorment dans l’ordure. « C’est plus propre, témoigne la bonne, dans une étable à cochons. » Ils n’ont qu’une couverture trouée pour trois : « C’est bien assez bon pour des scélérats qui ne me donnent pas une seconde de tranquillité. » Et elle pense ainsi non parce que son cœur est dur, — il est peut-être exquisement tendre, — mais parce que c’est trop fort qu’une mère n’ait jamais un instant de repos ! (Ah ! ces enfant ! que font-ils dans la vie ! pourquoi sont-ils nés ? ) C’est bruyant, c’est insupportable, il faut toujours s’occuper de cela ! L’hystérie s’est aggravée d’année en année.

À côté de cette mère de famille fatiguée de ses enfants jusqu’à la maladie, comparaît le père, M. Djounkowsky. C’est peut-être un homme charmant. On le dit instruit, sérieux, conscient de ses devoirs de pères, conscient jusqu’à en être amèrement ennuyé. C’est presque les larmes aux yeux qu’il se plaint de ses enfants ; il lève les bras au ciel : « J’ai tout fait pour ces petits drôles. J’ai engagé des gouverneurs, des institutrices. J’ai dépensé des sommes au-dessus de mes moyens, mais ce sont des monstres, des voleurs, des bandits. Ils ont frappé au visage leur sœur morte ! » En un mot il se croit innocent. Ses enfants sont là auprès de lui. Il est à remarquer que leurs dé-