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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

placé vis-à-vis d’eux trois de leurs enfants, Nicolas, Alexandre et Olga, dans une situation assez inhabituelle. Non seulement, ils n’avaient pour eux, aucune des caresses dont les parents sont prodigues, mais encore ils les abandonnaient sans surveillance, leur infligeaient de mauvais traitements, les nourrissaient et logeaient mal, les habillaient à peine, les condamnaient à de basses besognes et les forçaient à leur gratter les talons tous les soirs : c’est ainsi qu’ils se faisaient endormir par eux.

Le caractère de ses enfants s’était aigris au point de les rendre capables de fort méchantes actions, dont nous parlerons tout à l’heure à propos d’une de leur sœur, morte à présent, — Olga est épileptique — et les accusés leur infligeait des châtiments que l’on ne peut guère faire rentrer dans la catégorie des corrections familiales : on les enfermait dans les lieux d’aisance pour des temps assez long ; on les laissait dans une chambre glaciale, sans nourriture, ou on les faisait dîner et coucher dans les pièces habitées par les servantes, les mettant ainsi en contact avec des personnes peu capable de favoriser leurs progrès moraux. Enfin, on les battait à coup de poing, à coups de bâton, à coups de cravache, avec une férocité qui faisait mal à voir. Le petit Alexandre affirme que son dos restait endolori au moins cinq jours après certaines de ces corrections. Ces enfants n’avaient pas toujours besoin de commettre des méfaits pour être frappés : on les rossait très souvent sans motif, — pour le plaisir.

Une femme de soldat, Serguéieva, qui était employée dans la maison comme blanchisseuse, a révélé, entre autres choses, que les accusés avaient en aversion Nicolas, Alexandre et Olga, qui couchaient séparés des autres enfants, dans une pièce du rez-de-chaussée, à même le plancher, n’ayant pour s’abriter qu’une seule couverture déchirée. On les nourrissait aussi mal que les domestiques, ce qui faisait qu’ils étaient souvent affamés. L’été, ces petits allaient en chemise ; l’hiver, ils n’avaient que des peaux de bêtes, comme celles que préparent les paysans. Djounkowskaïa était pire qu’une marâtre pour