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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

museler Bismarck. Il peut y avoir, à cela, de grands risques, mais d’autres peuvent hésiter, — non des pères Jésuites. C’est le moment de risquer. Se borner à un simple mouvement clérical en France, sans guerre avec l’Allemagne et sans changement de régime à l’intérieur, il n’y faut pas songer. Tout ou rien ! Ils ne peuvent se contenter d’une influence dérisoire dans le gouvernement. Si l’Allemagne a le dessus, tant pis. Eux, les cléricaux n’auront qu’à rester tranquilles et à ne pas tenter de révolution ; ils n’auront rien perdu ; ils demeureront dans l’état où ils se trouvaient avant l’aventure, ni meilleur ni pire. Pour la France se sera autre chose. Vaincue, elle périra. Mais les Jésuites sont-ils hommes à s’arrêter devant cette considération ? Si la France est victorieuse, ils auront tout, et ils s’enracineront si bien dans le sol du pays, qu’il sera impossible de les extirper à l’avenir. Toutes les autres variétés de révolutionnaires, même les plus « rouge », chercheront toujours à concilier leur action avec quelque intérêt fondamental de la contrée. Le révolutionnaire jésuite, lui ne peut agir que d’une façon extraordinaire. L’armée noire est en dehors de l’humanité, de toute espèce de civilisation. Ce qu’il lui faut, c’est le triomphe seul de sa seule idée. Que tout ce qui n’est pas conforme à cette idée périsse, civilisation, société, science ! Si la chance est du côté des cléricaux, ils balayeront tous ce qui leur est contraire avec un balai comme on n’en aura jamais vu. Plus de résistance ! Ils organiseront à nouveau le pays, sous la tutelle jésuitique, pour tous les siècles des siècles.

Tout cela, au premier coup d’œil, peut paraître assez déraisonnable. Les journaux français, les nôtres et la plupart des gens sensés, pensent qu’ils se casseront le coup aux prochaines élections législatives. Les républicains français, dans l’innocence de leur âme, sont parfaitement convaincus que l’activité dévorante des préfets récemment installés et des nouveaux maires ne servira à rien, que l’ancienne majorité républicaine reviendra à la Chambre et opposera son veto aux projets de Mac-Mahon ; que les cléricaux seront chassés et qu’on chassera peut-être Mac-Mahon avec eux. Mais cette assurance manque