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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

nisme ne pouvait subsister ; c’est-à-dire qu’il s’est donné comme le souverain du monde, a posé, devant la catholicité, le principe d’une sorte de monarchie papale universelle pour la plus grande gloire de Dieu et du Christ sur la terre. Bien entendu, cela a fait rire beaucoup de gens trop spirituels. On a déclaré qu’il était « méchant mais pas fort ». Mais si l’on arrive à peser sur les décisions du nouveau Pape, si le Conclave lui-même, sous la pression de toute l’Europe, doit entrer en pourparlers avec des adversaires de l’idée romaine, c’est la mort de cette idée. Aussitôt élu, le nouveau Pape devra renoncer, et pour jamais, à toute restauration du pouvoir temporel et l’engagement liera éternellement la Papauté. Si, au contraire, le Pape récemment nommé par le Conclave déclare fermement qu’il est résolu à n’abdiquer aucun genre de pouvoir, les gouvernements de l’Europe peuvent refuser de le reconnaître, et il est à craindre que ne surviennent, dans l’Église romaine, des dissensions qui auront des conséquences innombrables et imprévues.

Ne semble-t-il pas à tous les diplomates de l’Europe que tout cela est très puéril et très insignifiant ? Le Pape vaincu, enfermé dans le Vatican, leur semblait si bien devenu quantité négligeable ! Il était presque ridicule de s’occuper de lui ! Cette façon de voir fut partagée par des esprits très libéraux. Ce pape qui publiait des encycliques et des syllabus, qui recevait des pèlerins, qui excommuniait et qui finissait par mourir comme les autres, leur paraissait chargé de pourvoir à leur divertissement. Et l’immense idée d’une royauté mondiale, cette idée que trouva le diable, lors de la tentation du Christ dans le désert, va peut-être disparaître prochainement ! Elle avait toutefois semblé normale et juste pendant des siècles. On se trompait, sans doute, parfois sur l’interprétation à lui donner, mais elle durait.

« Il est assez rare que les hommes croient, maintenant, en Dieu, surtout selon la formule romaine. En France, le peuple ne croit plus ; seule, peut-être, les classes supérieures conservent une apparence de foi ; alors quelle force peuvent avoir, en notre siècle, le Pape et le Catholicisme romain ? » C’est ainsi que la plupart des gens et