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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

évolué en Occident. Ils ont à peu près répudié le christianisme, les héritiers de l’ancien monde romain, et ils ont commencé à ébranler le pouvoir temporel du pape, dès la terrible révolution française, qui n’était encore, pourtant, qu’une incarnation du même principe de fraternité universelle. La portion de la société qui s’empara du pouvoir, après 1789, la bourgeoisie, crut avoir assez fait, quand elle se fut assuré la suprématie politique. Mais les esprits qui, par suite d’une loi éternelle, demeurent tourmentés du besoin de réaliser l’idéal humain, se sont tournés vers les humiliés et les déshérités et ont proclamé de nouveau la nécessité de l’union de toute l’espèce humaine, en vue d’obtenir, aussi bien pour « le quatrième état » que pour le reste des hommes, la jouissance de tous les biens de ce monde quels qu’ils soient. Ils sont décidés à atteindre ce but par tous les moyens possibles, en s’inquiétant fort peu des principes chrétiens et en ne se laissant arrêter par aucun scrupule.

Or, qu’a fait l’Allemagne pendant ces deux mille ans ? Le trait caractéristique de ce fier et grand peuple allemand, des son apparition dans l’histoire, ce fut de ne jamais vouloir s’associer à la tâche des peuples de l’occident de l’Europe, des successeurs de Rome. Pendant ces deux mille ans, il a protesté contre le monde latin, et, bien qu’il n’ait jamais très nettement formulé son idéal, il a toujours été convaincu qu’il serait capable de dire « la parole nouvelle » et de prendre la direction de l’humanité. Dès l’époque d’Arminius, il lutta contre la Rome ancienne, puis, pendant l’ère chrétienne, il s’efforça plus que tout autre de secouer le joug spirituel de la Rome nouvelle. Ce fut lui qui, avec Luther, protesta de la façon la plus effective, en proclament la liberté d’examen. La rupture entre Rome et l’Allemagne fut un événement mondial.

Mais l’esprit, germanique en demeura là pour assez longtemps. Le monde de l’Extrême-Occident, sous l’influence de la découverte de l’Amérique et des progrès de la science, cherchait des formules nouvelles. À l’époque de la Révolution française, l’esprit germanique traversait une période de trouble ; il semblait avoir perdu momen-