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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

brigands, tous veulent la même chose, qu’ils cherchent par des moyens divers… Et je ne puis m’égarer bien loin, puisque j’ai vu la Vérité, puisque je sais que tous les hommes peuvent être beaux et heureux sans cesser de vivre sur la terre. Je ne veux pas, je ne peux pas croire que le mal soit l’état normal de l’homme. Comment pourrais-je croire une chose semblable ? J’ai vu la Vérité et son image vivante. Je l’ai vue si belle et si simple que je n’admets pas qu’il soit impossible de la voir chez les hommes de notre terre. Ce que je sais me rend vaillant, fort, dispos, infatigable. J’irai de l’avant, quand même ma mission devrait durer mille années. Si je m’égare encore, la belle lumière du Vrai me remettra dans mon chemin.

Au début, j’avais voulu cacher aux habitants de l’autre terre que j’étais l’agent de corruption. Mais la Vérité me murmura tout bas que j’étais en faute, que je mentais, et me montra la route à suivre, la route droite.

C’est bien difficile de réorganiser le paradis sur notre terre. D’abord, depuis mon songe, j’ai oublié tous les mots qui pouvaient le mieux exprimer mes idées. Tant pis ! Je parlerai comme je pourrai, sans me lasser, car j’ai vu si je ne sais décrire.

Et les moqueurs peuvent rire encore et dire comme ils l’ont déjà fait : « C’est un songe qu’il raconte et il ne sait même pas le raconter ! » Soit, c’est un songe ! Mais qu’est-ce qui n’est pas songe ? Mon rêve ne se réalisera pas de mon vivant ? Qu’importe ! Je prêcherai tout de même.

Et la réalisation en serait si simple ! Ce serait l’affaire d’un jour, d’une heure !

Qu’est-ce qu’il faut pour cela ? Que chacun aime les autres comme soi-même. Après cela, il n’y a plus rien à dire. C’est compréhensible pour tout le monde, et tout le bonheur découlera de là.

Ah ! voilà ! C’est une trop vieille vérité répétée des billions de fois et qui pourtant ne s’est enracinée nulle part. Il faut la répéter encore.

« La compréhension même de la vie, dites-vous, est plus intéressante que la vie elle-même. La science de ce qui peut donner le bonheur est plus précieuse que la possession du bonheur ! »