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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

j’avais été, chez eux, le ferment de vice et de mensonge. Je les suppliais de me mettre à mort, de me crucifier, et je leur montrais comment construire la croix. Je n’avais pas, disais-je, la force de me tuer moi-même, mais j’avais soif de tourments, de supplices ; je voulais être torturé jusqu’au moment où je rendrais l’âme. Mais ils se contentaient de se moquer de moi et, à la fin, ils me prirent pour un idiot. Ils m’excusaient, affirmant que je ne leur avais apporté que ce qu’ils désiraient avoir ; ce qui était maintenant ne pouvait pas ne pas être.

Pourtant, un beau jour, agacés, ils déclarèrent que je devenais dangereux et qu’ils allaient m’enfermer dans une maison de santé si je ne consentais à me taire. Alors la douleur m’envahit avec une telle force que je sentis que j’allais mourir. Et c’est à ce moment que je m’éveillai.




Il pouvait être 6 heures du matin. Je me retrouvai dans le fauteuil. Ma bougie s’était brûlée jusqu’au bout. On dormait chez le capitaine, et le silence régnait dans tout l’appartement. Je sursautai sur mon siège. Jamais je n’avais eu de rêve pareil, avec des détails aussi clairs, aussi minutieux. Tout à coup, j’aperçus mon revolver tout chargé, mais à l’instant même je le jetai loin de moi. Ah, la vie ! la vie ! Je levai les mains et implorai l’éternelle Vérité ; j’en pleurais ! Un enthousiasme fou soulevait tout mon être. Oui ! je voulais vivre et me vouer à la prédication ! Certes, désormais, me dis-je, je prêcherai partout la Vérité, puisque je l’ai vue, vue de mes yeux, vue dans toute sa gloire !

Depuis ce temps-là je ne vis que pour la prédication. J’aime ceux qui rient de moi ; je les aime plus que les autres. On dit que je perds la raison parce que je ne sais comment convaincre mes auditeurs, parce que je cherche par tous les moyens à les toucher et que je n’ai pas encore trouvé ma voie. Sans doute je dois m’égarer bien souvent, mais quelles paroles dire ? Quelles actions donner en exemple ? Et qui ne s’égare pas ? Et pourtant tous les hommes, depuis le sage jusqu’au dernier des