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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

du quatrième étage ? Mais le premier médecin-expert venu aurait dit qu’au moment de la chute, la petite avait pu s’imaginer, sans raison, que les choses s’étaient passées comme elle le racontait ; qu’il s’agissait d’une impression nerveuse.

Pourquoi donc la coupable est-elle allée se dénoncer ? On nous répondra qu’elle était au désespoir : qu’elle voulait « en finir d’une façon ou d’une autre ». En effet, il est impossible de trouver une autre explication ; mais cela même ne démontre-t-il pas le bouleversement de l’âme de cette malheureuse, enceinte, disons-le encore une fois. Ses propres paroles sont assez caractéristiques. « Je ne voulais pas aller au commissariat et j’y suis arrivée je ne sais trop comment. » C’est-à-dire qu’elle agissait comme dans le délire, comme poussée par une volonté étrangère. D’autre part, le témoignage de Mme A. P. B. explique bien des choses. On nous dit que la Kornilova était, à son arrivée en prison, méchante, grossière, et qu’au bout de trois semaines se révéla en elle un être tout différent, timide, doux et tranquille. Pourquoi ? Parce que, terminée une certaine période de la grossesse, la période où la volonté était malade, la période de la «’folie sans folie », l’état morbide se dissipa et qu’apparut un être nouveau, inoffensif et pacifique.

Supposons qu’on la condamne encore au bagne, qu’on désespère encore cette pauvre femme si jeune, qui commence à peine à vivre et se trouve prisonnière et affligée d’un nourrisson ; que s’ensuivra-t-il ? Son âme se corrompra, deviendra féroce et cruelle. Quand le bagne a-t-il jamais amendé personne ? Je le répète comme il y a deux mois : il vaut mieux se tromper par trop de clémence que par trop de rigueur. Acquittez cette malheureuse et que son âme ne se perde pas. Elle a longtemps à vivre, cette jeune femme ; il y a de bons germes en elle, ne les étouffez pas. À présent, la leçon terrible qu’elle a reçue peut la détourner à jamais du mal et développer ces bons germes.

Supposez même que son cœur soit mauvais et aride, la clémence peut l’adoucir ; mais je vous assure qu’il n’est ni aride ni mauvais. Je ne suis pas le seul à en