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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

quelque chose dans les yeux de ma femme, car elle revint en mon absence, et ma femme lui rendit le médaillon.

Quand je sus l’affaire, je tâchai de raisonner ma prodigue tout doucement, bien sagement. Elle était, à ce moment, assise sur son lit, sa petite bottine battait le parquet sur lequel elle tenait les yeux fixés ; elle avait encore son mauvais sourire. Comme elle ne voulait pas me répondre, je lui fis observer bien gentiment que l’argent était à moi. Elle sauta brusquement sur ses pieds, tressaillit toute et se mit à trépigner. C’était comme une bête enragée. Messieurs, une bête au paroxysme de la furie. J’en fus abruti d’étonnement ; pourtant, de la même voix tranquille, je signifiai que dorénavant elle ne prendrait plus part à mes opérations. Elle me rit au nez et sortit de notre logement. Il était, cependant, bien entendu qu’elle ne quitterait jamais la maison sans moi ; c’était l’un des articles de notre pacte. Elle revint le soir, et je ne lui adressai pas un seul mot.

Le lendemain, elle sortit de même ; le surlendemain également. J’ai fermé ma caisse, et j’ai été trouver les tantes. Je ne les voyais plus depuis le mariage. Chacun chez nous ! Ma femme n’était pas chez elles, et elles se moquèrent de moi. Parfait ! Mais pour cent roubles, je sus de la cadette tout ce que je voulais savoir. Elle me mit au courant le surlendemain : « Le but de la sortie me dit-elle, c’est un certain lieutenant Efimovitch, un camarade de régiment à vous. » Cet Efimovitch avait été mon ennemi acharné. Depuis quelque temps il affectait de venir engager différentes choses chez moi et de rire avec ma femme. Je n’attachais à cela aucune importance ; je l’avais seulement prié, une fois, d’aller engager ses bibelots ailleurs. Je ne voyais là que de l’insolence de sa part. — Mais la tante me révéla qu’ils avaient déjà eu un rendez-vous et que tout cela était manigancé par une de ses connaissances, une nommée Julia Samsonovna, veuve d’un colonel. « C’est donc chez cette Julia que votre femme va. »

J’abrège : mes démarches me coûtèrent trois cents roubles ; mais, grâce à la tante, je pus me placer de manière