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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

débuts du poète, que retentissait une parole nouvelle, tout ce qui, dans son œuvre, était universellement humain, tout cela eut immédiatement son écho chez nous, dans notre Russie. Nous en ressentîmes une impression intense et profonde, qui ne s’est pas dissipée et qui prouve que tout poète, tout novateur européen, toute pensée neuve et forte venue de l’Occident, devient fatalement une force russe.

D’ailleurs, je n’ai aucune intention d’écrire un article de critique sur George Sand. Je veux seulement dire quelques paroles d’adieu sur sa tombe encore fraîche.


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Les débuts littéraires de George Sand coïncident avec les années de ma première jeunesse. Je suis, à présent, heureux de penser qu’il y a déjà si longtemps de cela, car maintenant que plus de trente ans se sont écoulés, on peut parler presque en toute franchise. Il convient de faire observer qu’alors la plupart des gouvernements européens ne toléraient chez eux rien de la littérature étrangère, rien sinon les romans. Tout le reste, surtout ce qui venait de France, était sévèrement consigné à la frontière. Oh, certes, bien souvent, on ne savait pas voir. Metternich lui-même ne savait pas plus voir que ses imitateurs. Et voilà comment des « choses terribles » ont pu passer (tout Bielinski a bien passé !). Mais, en revanche, un peu plus tard, surtout vers la fin de cette période, on se mit, de peur de se tromper, à prohiber à peu près tout. Les romans pourtant trouvèrent grâce à toute époque et dans ce pays ce fut surtout quand il s’agit de romans de George Sand que nos gardiens furent aveugles.

Rappelez-vous ces vers :

Il sait par cœur les volumes
De Thiers et de Rabeau
Et fougueux comme Mirabeau
Il glorifie la liberté…

Ces vers sont d’autant plus précieux qu’ils furent écrits