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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

plus qu’il n’y perd. C’est pour le peuple que la guerre a les meilleures conséquences. La guerre égalise tout pendant le combat et unit le serviteur et le maître en cette manifestation suprême de la dignité humaine : le sacrifice de la vie pour l’œuvre commune, pour tous, pour la patrie. Croyez-vous que la masse la plus obscure des moujiks ne sente pas le besoin de manifester de façon active des sentiments généreux ? Comment prouvera-t-elle pendant la paix sa magnanimité, son désir de dignité morale ? Si un homme du peuple accomplit une belle action en temps ordinaire, ou nous l’en raillons ou nous nous méfions de l’acte, ou bien encore nous en témoignons une admiration si étonnée que nos louanges ressemblent à des insultes. Nous avons l’air de trouver cela si extraordinaire ! Pendant la guerre tous les héroïsmes sont égaux. Un gentilhomme terrien et un paysan, quand ils combattaient en 1812 étaient plus près l’un de l’autre que chez eux, dans leur village. La guerre permet à la masse de s’estimer elle-même ; voilà pourquoi le peuple aime la guerre. Il compose des chansons guerrières après le combat et plus tard il écoute religieusement les récits de batailles.

La guerre à notre époque est nécessaire : sans la guerre le monde tomberait dans la sanie…

Je cessai de discuter. On ne discute pas avec des rêveurs. Mais voici qu’on recommence à se préoccuper de problèmes qui semblaient depuis longtemps résolus. Cela signifie quelque chose. Et le plus curieux c’est que cela a lieu partout en même temps.