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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

unités, vivent leurs derniers jours et le savent bien ; en tout cas ils semblent préférer la mort à l’abandon de leurs principes.

À propos, tout le monde, chez nous, parle de la paix. On pronostique une paix durable ; on croit entrevoir un horizon clair. On veut reconnaître des signes de paix dans l’établissement définitif de la République en France et dans le rôle joué par Bismarck, qui aurait aidé en sous-main à l’affermissement de ce régime. Beaucoup de journaux croient tout danger de guerre écarté après l’entente des grandes puissances de l’Europe orientale, malgré les troubles de l’Herzégovine. (La clef de toute cette question d’Herzégovine se trouve, peut-être, à Berlin, dans la cassette du prince de Bismark.)

Avant tout, on est ravi chez nous de l’établissement de la République en France. Mais, à ce sujet, pourquoi la France demeure-t-elle au premier plan en Europe en dépit de la victoire de Berlin ? Le moindre événement français excite en Europe plus d’intérêt et de sympathie que les faits les plus graves qui se passent à Berlin. Sans doute parce que la France a toujours précédé les autres nations dans la marche en avant des idées. Tout le monde croit, sans doute, que la France fera toujours, la première, quelque pas décisif.

Voilà pourquoi, peut-être, l’individualisme a si nettement triomphé dans ce pays d’ « avant-garde ». La paix générale est, là-bas, absolument impossible et demeurera impossible jusqu’à la fin. En acclamant la République en France, l’Europe semblait dire qu’avec ce régime toute guerre de revanche avec l’Allemagne devenait invraisemblable. Et pourtant ce n’est là qu’un mirage. Car la République a justement été proclamée pour la guerre, non pas avec l’Allemagne, mais avec un adversaire, un ennemi de toute l’Europe : le communisme ; et c’est sous la République que cet ennemi pourra le plus facilement agir. Tout autre gouvernement lui aurait fait des concessions et ainsi ajourné le dénouement ; la République le provoquera au combat. Qu’on ne vienne donc pas affirmer que « la République c’est la paix ». Quels sont ceux qui se sont déclarés partisans de la République, en France ?