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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

— Veux-tu te taire, polisson ! et la grand’mère se met à rire, très amusée dans le fond.

— Tu sais, Maria Maximovna, je suis un bon garçon.

— Il est toujours agréable de causer avec de braves gens… Avez-vous fait faire le paletot pour Serioja ?

Elle montre le neveu. Celui-ci, garçon robuste et sain, sourit largement et s’approche. Il porte un nouveau paletot gris qu’il a encore du plaisir à exhiber. L’indifférence viendra peut-être dans une semaine ; mais, en attendant, il en est encore à contempler à chaque instant les parements, les revers, à se regarder dans la glace avec son vêtement neuf ; il ressent pour lui-même un certain respect en se voyant si bien habillé.

— Tourne-toi donc ! crie la femme du barbier. Et toi, regarde, Maria Maximovna. Un beau paletot, hein ? Et qui vaut six roubles comme un kopek. Commander un article à meilleur marché, on nous a dit chez Prokhoritch qu’il valait mieux ne pas même y penser ! On s’en serait mordu les doigts, après, tandis que ce paletot-ci est inusable. Voyez cette étoffe ! Mais tourne-toi donc ! Et la doublure ! C’est d’une solidité ! Mais tourne-toi donc !… Enfin, c’est ainsi que l’argent danse et file, Maria Maximovna ! Voilà des roubles qui nous ont dit adieu !

— Oh ! la vie est devenue si chère que j’aime mieux ne pas y songer. Ça me ferait de la peine ! remarque Maria Meximovna tout émotionnée et qui ne peut encore reprendre haleine.

— Allons, allons ! il est temps de manger ! observe le barbier. Mais tu parais très fatiguée, Maria Maximovna.

— Oui, petit père, je suis éreintée ; il fait chaud… et un soleil !… Oh ! j’ai rencontré en route une petite dame qui avait acheté des souliers pour ses enfants ! « Tu es fatiguée, ma bonne vieille ? m’a-t-elle demandé. Prends cette pièce pour acheter un petit pain. » Et moi, tu sais, j’ai pris la pièce.

— Mais, grand’mère, repose-toi d’abord. Qu’as-tu à étouffer comme cela ? demande le coiffeur avec empressement.

Tout le monde la regarde. Elle est devenue toute pale ;