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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

qui connaît toutes les lois et tous les arrêts, qui déconcerte le procureur général et fait acquitter l’innocent. Oui, l’avocat est utile : que deviendrait, sans lui, l’innocence ?

Mais je ne dis rien de neuf. Tout cela est archi-connu. Et c’est une bien excellente chose que d’avoir un avocat. J’ai eu moi-même ce bonheur, une fois que, par inadvertance, j’avais laissé imprimer dans le journal que je dirigeais un article qui eût dû, avant de passer, obtenir l’autorisation de M. le Ministre de la Cour. On m’annonça que j’étais inculpé. Je ne voulais même pas me défendre tant ma « faute » était évidente pour moi-même. Mais la Cour me désigna, d’office, un défenseur, qui me révéla tout à coup, non seulement que je n’étais pas coupable, mais encore que j’avais admirablement bien fait. Comme de juste, je l’écoutai avec plaisir. Le jour des débats, je ressentis une impression tout à fait neuve, en entendant mon avocat plaider. Me sachant complètement dans mon tort, les théories dudit avocat, tendant non seulement à me faire acquitter, mais encore à m’obtenir des félicitations, me parurent si amusantes, oserai-je dire si attrayantes, que je compte cette demi-heure passée au tribunal au nombre des meilleurs moments de ma vie. Je fus condamné à vingt-cinq roubles d’amende et incarcéré pendant deux jours au corps de garde, où je passais mon temps assez agréablement et même d’une manière profitable, car je fis connaissance de quelques genres d’individus et de quelques détails de vie absolument insoupçonnés de moi. Mais voilà encore une forte digression ; revenons aux choses sérieuses.

La profession d’avocat est morale et édifiante, quand le titulaire emploie son talent à défendre des malheureux. L’avocat devient alors un ami de l’humanité. Mais on est très naturellement porté à penser qu’il défend souvent sciemment des coupables et les fait acquitter. Il est vrai qu’il ne peut guère faire autrement, et tout le monde me dira qu’on n’a pas le droit de priver un accusé de l’assistance d’un avocat. D’accord ; mais il me semble qu’un avocat aura bien du mal à éviter de mentir et de parler contre sa conscience. Il vous est arrivé d’entendre l’un d’entre eux déclarer à la face du tribunal que ce n’est que