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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Je trouvai aussi de magnifiques scarabées et des hannetons superbes ; j’en ramassai ; puis aussi des lézards tout petits et si agiles, rouges et jaunes, ornés de points noirs, mais j’avais peur des serpents, plus rares, d’ailleurs que les lézards. Il y avait peu de champignons, ce qui me dégoûta de la brousse. On en trouvait beaucoup sous les bouleaux ; aussi me décidai-je bien vite à partir pour le petit bois, où il n’y avait pas seulement des champignons, mais encore des graines bizarres, de gros insectes et de petits oiseaux ; on y voyait même des hérissons et des écureuils sous la feuillée dont j’aimais tant les parfums humides. En écrivant ceci, je sens encore la fraîche odeur de notre agreste bois de bouleaux ; ces impressions-là restent pour la vie.

Tout à coup, après un long moment de silence, j’entendis distinctement ce cri : Au loup ! Je fus pris de terreur, poussa moi-même un cri et courus vers la clairière, pour me réfugier auprès du moujik qui labourait.

C’était notre moujik Mareï. Je ne sais pas si l’almanach contient un tel nom, mais tout le monde appelait ce paysan Mareï. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, grand et robuste, portant toute sa barbe blonde fortement grisonnante. Je le connaissais, mais ne lui avais encore presque jamais parlé. Il arrêta sa rosse en m’entendant crier, et quand je fus près de lui, m’accrochant d’une main à sa charrue et de l’autre à sa manche, il vit que j’étais épouvanté.

— Le loup ! clamai-je, tout essoufflé.

Il leva la tête et regarda de tous côtés :

— Où diable vois-tu un loup ?

— Quelqu’un a crié : Au loup ! voici un instant, balbutiai-je.

— Il n’y a pas de loup ! Tu perds la tête. Où a-t-on jamais vu des loups par ici ? fit-il pour me rendre courage. Mais je tremblais de tout mon corps et me pendis plus lourdement à sa manche. Je devais être très pâle, car il me regarda, comme effrayé pour moi.

— Peut-on se faire des peurs pareilles ! Aï ! aï ! Il hocha la tête. Va donc, mon petit ; il n’y a aucun danger.