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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

— Nous sommes les petits invités qui venons voir l’arbre du Christ, répondent les enfants. Le Christ a toujours, à Noël, un bel arbre pour les enfants qui n’ont pas leur arbre de Noël, à eux.

Et il apprend que tous ces bébés ont été des petits malheureux comme lui. Les uns ont été découverts gelés dans des paniers où on les avait abandonnés, à la rue ; les autres ont été asphyxiés chez des nourrices finnoises ; d’autres sont morts à l’Hospice des Enfants trouvés ; d’autres encore ont péri de faim près des mamelles desséchées de leurs mères pendant la famine de Samara, et tous sont là maintenant, devenus des anges, chez le Christ que voici au milieu d’eux, souriant et les bénissant, eux et leurs mères, les pécheresses. Car elles sont là aussi, les mères, et les enfants volent vers elles et les embrassent, essuient leurs larmes de leurs petites mains et leur disent de ne pas pleurer puisqu’on est si heureux, à présent !…

Le matin, des domestiques ont trouvé, derrière une pile de bois, le cadavre gelé d’un petit garçon ; on a retrouvé aussi le corps de sa mère, morte dans le sous-sol. Tous deux, vous le savez maintenant, se sont rencontrés chez le Bon Dieu.

Pourquoi ai-je composé cette histoire puérile qui fait un singulier effet dans le carnet d’un écrivain sérieux ? Moi qui avais promis de ne raconter dans ce carnet que des choses vraies, arrivées !

Mais voilà !… Il me semble que tout cela aurait pu avoir lieu en réalité… Surtout la découverte des deux cadavres !… Quant à l’arbre de Noël, — mon Dieu ! — n’est-ce pas un peu pour inventer que je suis romancier ?