Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

quelle jolie petite fille ! On entend de la musique au travers de la vitre. Le petit pauvre regarde, s’étonne ; il rirait déjà presque, mais ses mains et ses pieds lui font trop mal ! Comme elles sont rouges, ses mains ! Leurs doigts ne peuvent plus se plier. L’enfant souffre trop pour rester en place ; il court aussi fort qu’il peut. Mais voici une autre vitre plus flamboyante que la première. La curiosité a raison de la douleur. Quelle belle chambre il aperçoit ! Encore plus merveilleuse que l’autre ! L’arbre est constellé comme un firmament ! Sur les tables s’étalent des gâteaux de toute sorte, jaunes, rouges, multicolores : quatre belles dames, luxueusement vêtues, se tiennent auprès et donnent des gâteaux à tout venant : la porte s’ouvre à chaque minute ; des messieurs entrent. Le petit garçon s’approche à pas de loup, profite d’un moment où la porte est entrebâillée et apparaît dans la pièce. Oh ! il faut voir comme il est reçu ! C’est une tempête d’invectives ; certains vont jusqu’à lever la main sur lui. Une dame s’approche du petit, lui glisse un kopek dans la main et le met doucement dehors. Comme il a eu peur ! Et le kopek s’échappe de ses petits doigts rouges et gourds qu’il ne peut plus refermer ! Et il court, il court : il ne sait plus où, lui-même. Il voudrait pleurer, mais il ne peut plus, il a eu trop peur ! Il court et souffle dans ses pauvres doigts tout douloureux. Sa peur augmente. Il se sent si seul. Il est bien perdu dans la ville. Mais soudain, il s’arrête encore : Dieu juste ! qu’aperçoit-il, cette fois ? Le spectacle est si beau qu’une foule stationne pour l’admirer. Derrière la glace de la fenêtre, trois pantins merveilleux, habillés de vert et de rouge, se meuvent, comme vivants. L’un ressemble à un vieillard et joue du violoncelle ; les deux autres jouent du violon en hochant leurs petites têtes en mesure. Ils semblent se regarder, leurs lèvres remuent comme s’ils parlaient ; seulement on n’entend rien à travers la glace. Le petit garçon croit d’abord que les pantins vivent ; ce n’est qu’un peu plus tard qu’il comprend que ce sont des jouets. Il rit de satisfaction. Quels beaux pantins ! Jamais il n’en vit de pareils ; jamais il ne soupçonna même qu’il pût y en avoir de semblables. Il rit, et il a presque envie de