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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

à l’Assemblée, pour dix ans encore, les intrigants qui la mènent à l’heure actuelle. On a le droit de conjecturer en même temps que la guerre va recommencer, plus féroce, entre conservateurs et républicains, que les intrigues de partis vont continuer de plus belle et qu’une révolution est à craindre. Un tel chaos est encore pire que l’avènement du comte de Chambord, parce que, de celui-là on serait vite débarrassé, et qu’on pourrait, après son départ, fonder une république sage et modérée, tandis qu’avec une révolution en perspective, le triomphe du parti de la modération paraît au moins prématuré.

Il faut bien dire que beaucoup de Français comptent sur les « baïonnettes obéissantes » de l’armée dévouée à Mac-Mahon pour contenir l’effort des communistes.

Certains indices donnent à penser que le mécontentement est général dans le pays. Nous allons en donner un exemple. Il y a deux semaines, le général de brigade Bellemare a adressé de Périgueux, au ministre de la Guerre, la lettre suivante :

« Monsieur le Ministre,

« Pendant trente-trois ans j’ai servi la France sous le drapeau tricolore. Après la chute de l’Empire j’ai servi le gouvernement de la République. Mais je me refuse à jamais servir sous le drapeau blanc et ne mettrai jamais mon épée à la disposition d’un gouvernement monarchique rétabli contre la volonté du peuple.

« Donc si, contre toute attente, l’Assemblée Nationale actuelle rétablissait la royauté, je vous prierais respectueusement, Monsieur le Ministre, de bien vouloir me relever des fonctions qui m’ont été confiées par vous. »

Signé : Général Bellemare.

Dès la réception de cette lettre, le général Bellemare était relevé de son commandement.

Le ministre de la Guerre s’est hâté de demander aux chefs des décisions militaires des renseignements sur l’état d’esprit de l’armée, et les journaux affirment que