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l’argent… » Là-dessus, il se procurera des ressources… vous devinez de quelle manière ?

Zamétoff, à ces mots, renifla brusquement dans son coin. Raskolnikoff ne leva même pas les yeux sur lui.

— Je suis obligé de reconnaître, répondit-il avec calme, que de tels cas doivent, en effet, se rencontrer. C’est un piège que l’amour-propre tend aux vaniteux et aux sots ; les jeunes gens surtout s’y laissent prendre.

— Vous voyez, eh bien ?

— Eh bien, quoi ? reprit en riant Raskolnikoff, ce n’est pas ma faute. Cela se voit et se verra toujours. Tout à l’heure il me reprochait d’autoriser le meurtre, ajouta-t-il en montrant Razoumikhine. — Qu’importe ? Est-ce que la société n’est pas suffisamment protégée par les transportations, les geôles, les juges d’instruction, les galères ? Pourquoi donc s’inquiéter ? Cherchez le voleur !…

— Et si nous le trouvons ?

— Tant pis pour lui.

— Au moins vous êtes logique. Mais sa conscience, que lui dira-t-elle ?

— Qu’est-ce que cela vous fait ?

— C’est une question qui intéresse le sentiment humain.

— Celui qui a une conscience souffre en reconnaissant son erreur. C’est sa punition, — indépendamment des galères.

— Ainsi, demanda en fronçant le sourcil Razoumikhine, les hommes de génie, ceux à qui est donné le droit de tuer, ne doivent ressentir aucune souffrance, même lorsqu’ils versent le sang ?

— Que vient faire ici le mot « doivent » ? La souffrance ne leur est ni permise ni défendue. Libre à eux de souffrir, s’ils ont pitié de leur victime… La souffrance accompagne toujours une intelligence large et un cœur profond. Les hommes vraiment grands doivent, me semble-t-il, éprouver une grande tristesse sur la terre, ajouta Raskolnikoff, pris