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Celui-ci, de son côté, ne le quittait pas des yeux. Razoumikhine, assis en face d’eux, écoutait avec impatience, et ses regards allaient sans cesse de son ami au juge d’instruction et vice versa, ce qui passait un peu la mesure.

« L’imbécile ! » pestait intérieurement Raskolnikoff.

— Il faut faire une déclaration à la police, répondit de l’air le plus indifférent Porphyre Pétrovitch : — vous exposerez comme quoi, informé de tel événement, c’est-à-dire de ce meurtre, vous désirez faire savoir au juge d’instruction chargé de cette affaire que tels objets vous appartiennent et que vous voulez les dégager… ou… mais, du reste, on vous écrira.

— Par malheur, reprit Raskolnikoff avec une confusion jouée, je suis loin d’être en fonds pour le moment… et mes moyens ne me permettent même pas de dégager ces niaiseries… Voyez-vous, je voudrais me borner actuellement à déclarer que ces objets sont à moi et que, quand j’aurai de l’argent…

— Cela ne fait rien, répondit Porphyre Pétrovitch, qui accueillit froidement cette explication financière ; du reste, vous pouvez, si vous voulez, m’écrire directement, vous déclarerez qu’instruit de telle chose, vous désirez me faire savoir que tels objets vous appartiennent et que…

— Je puis écrire cette lettre sur papier libre ? interrompit Raskolnikoff, affectant toujours de ne voir que le côté pécuniaire de la question.

— Oh ! sur n’importe quel papier !

Porphyre Pétrovitch prononça ces mots d’un air franchement moqueur, en faisant un petit signe des yeux à Raskolnikoff. Du moins, le jeune homme aurait juré que ce clignement d’yeux s’adressait à lui et trahissait le diable savait quelle arrière-pensée. Peut-être, après tout, se trompait-il, car cela dura à peine l’espace d’une seconde.

« Il sait ! » se dit-il instantanément.

— Pardonnez-moi de vous avoir dérangé pour si peu de