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Ayez la bonté de vous asseoir, ajouta-t-il brusquement, — je vous en prie… Vous êtes peut-être pressée ?… Je voudrais causer un instant avec vous ; faites-moi la grâce de m’accorder deux minutes…

En même temps il l’invitait du geste à se rasseoir. Sonia obéit ; elle porta de nouveau un regard timide sur les deux dames et baissa soudain les yeux. Les traits de Raskolnikoff se contractèrent, son visage pâle devint cramoisi, ses yeux lancèrent des flammes.

— Maman, dit-il d’une voix vibrante, c’est Sophie Séménovna Marméladoff, la fille de ce malheureux M. Marméladoff qui, hier, a été écrasé devant moi par une voiture, et dont je vous ai déjà parlé…

Pulchérie Alexandrovna regarda Sonia et cligna légèrement les yeux. Malgré la crainte qu’elle éprouvait vis-à-vis de son fils, elle ne put se refuser cette satisfaction. Dounetchka se tourna vers la pauvre jeune fille et se mit à l’examiner d’un air sérieux. En s’entendant nommer par Raskolnikoff, Sonia leva de nouveau les yeux, mais son embarras ne fit que s’accroître.

— Je voulais vous demander, se hâta de lui dire le jeune homme, comment les choses se sont passées chez vous aujourd’hui… On ne vous a pas tracassées ? Vous n’avez pas eu d’ennuis avec la police ?

— Non, il n’y a rien eu… la cause de la mort n’était d’ailleurs que trop évidente, on nous a laissées tranquilles ; seulement les locataires sont fâchés.

— Pourquoi ?

— Ils trouvent que le corps reste trop longtemps dans la maison… À présent, il fait chaud, l’odeur… de sorte qu’aujourd’hui, à l’heure des vêpres, on le transportera à la chapelle du cimetière, où il restera jusqu’à demain. D’abord Catherine Ivanovna ne voulait pas, mais elle a fini par comprendre qu’on ne pouvait pas faire autrement…