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IV

En ce moment, la porte s’ouvrit sans bruit ; une jeune fille entra dans la chambre en promenant des regards timides autour d’elle. Son apparition causa une surprise générale, et tous les yeux se fixèrent sur elle avec curiosité. Raskolnikoff ne la reconnut pas tout d’abord. C’était Sophie Séménovna Marméladoff. Il l’avait vue la veille pour la première fois, mais au milieu de circonstances et dans un costume qui avaient laissé d’elle une tout autre image dans son souvenir. Maintenant, c’était une jeune fille à la mise modeste et même pauvre, aux manières convenables et réservées, à la physionomie craintive. Elle portait une petite robe fort simple et un vieux chapeau passé de mode. De ses ajustements de la veille, il ne lui restait rien, sauf qu’elle avait encore son ombrelle à la main. En apercevant tout ce monde, qu’elle ne s’était pas attendue à trouver là, sa confusion fut extrême, et elle fit même un pas pour se retirer.

— Ah !… c’est vous ?… dit Raskolnikoff au comble de l’étonnement, et tout à coup lui-même se troubla.

Il songea que la lettre de Loujine, lue par sa mère et sa sœur, renfermait une allusion à certaine jeune personne « d’une inconduite notoire ». Il venait de protester contre la calomnie de Loujine, et de déclarer qu’il avait vu cette jeune fille la veille pour la première fois ; or, voilà qu’elle-même arrivait chez lui ! Il se rappela aussi qu’il avait laissé passer sans protestations les mots « d’une inconduite notoire ». En un clin d’œil, toutes ces pensées traversèrent pêle-mêle son esprit. Mais, en observant plus attentivement la pauvre créature, il la vit si écrasée de honte, que soudain