Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/278

Cette page a été validée par deux contributeurs.

intérêt. Je n’y comprends rien… et… je dirai même que cette bienveillance me pèse, parce qu’elle est inintelligible pour moi : vous voyez que je suis franc.

— Ne vous tourmentez donc pas, répondit Zosimoff, en affectant de rire ; supposez que vous êtes mon premier client ! or, nous autres, docteurs, quand nous débutons, nous aimons nos premiers malades comme s’ils étaient nos propres enfants ; certains d’entre nous en deviennent presque amoureux. Et moi, voyez-vous, je n’ai pas encore une nombreuse clientèle.

— Je ne parle pas de lui, reprit Raskolnikoff en montrant Razoumikhine, — je n’ai fait que l’injurier et lui causer de l’embarras.

— Quelles bêtises il dit ! Tu es, paraît-il, en disposition sentimentale aujourd’hui ! cria Razoumikhine.

Plus perspicace, il aurait vu que, loin d’être sentimental, son ami se trouvait dans une disposition toute différente. Mais Avdotia Romanovna ne s’y trompa point, et, inquiète, se mit à observer attentivement son frère.

— De vous, maman, j’ose à peine parler, fit encore Raskolnikoff, qui avait l’air de réciter une leçon apprise depuis le matin ; — aujourd’hui seulement j’ai pu comprendre combien vous avez dû souffrir hier soir en attendant mon retour.

À ces mots, il sourit et tendit brusquement la main à sa sœur. Ce geste ne fut accompagné d’aucune parole, mais le sourire du jeune homme exprimait cette fois un sentiment vrai ; la feinte n’y avait point de part. Joyeuse et reconnaissante, Dounia saisit aussitôt la main qui lui était tendue et la serra avec force. C’était la première marque d’attention qu’il lui donnait depuis leur altercation de la veille. Témoin de cette réconciliation muette et définitive du frère avec la sœur, Pulchérie Alexandrovna devint radieuse.

Razoumikhine s’agita vivement sur sa chaise.