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mains tremblaient : il n’a pas su voler, la présence d’esprit l’a abandonné ; les faits le démontrent clairement…

Ce langage froissa Raskolnikoff.

— Vous croyez ? Eh bien, mettez donc la main sur lui ! Découvrez-le donc maintenant ! vociféra-t-il en prenant un malin plaisir à taquiner le chef de la chancellerie.

— N’ayez pas peur, on le découvrira.

— Qui ? vous ? C’est vous qui le découvrirez ? Allons donc, vous y perdrez vos peines. Pour vous, toute la question est de savoir si un homme fait ou non de la dépense. Un tel qui ne possédait rien s’est mis tout à coup à jeter l’argent — par les fenêtres : donc il est coupable. En se réglant là-dessus, un enfant, s’il le voulait, se déroberait à vos recherches.

— Le fait est que tous se conduisent de la sorte, répondit Zamétoff : après avoir déployé souvent beaucoup d’adresse et de ruse dans la perpétration d’un assassinat, ils se font pincer au cabaret. Ce sont leurs dépenses qui les trahissent. Ils ne sont pas tous aussi malins que vous. Vous, naturellement, vous n’iriez pas au cabaret ?

Raskolnikoff fronça le sourcil et regarda fixement Zamétoff.

— Vous voulez aussi, paraît-il, savoir comment j’agirais en pareil cas ? demanda-t-il d’un ton de mauvaise humeur.

— Je le voudrais, reprit avec force le chef de la chancellerie.

— Vous y tenez beaucoup ?

— Oui.

— Bien. Voici ce que je ferais, commença Raskolnikoff en baissant soudain la voix et en rapprochant de nouveau son visage de celui de son interlocuteur, qu’il regarda dans les yeux. Cette fois, Zamétoff ne put s’empêcher de frissonner. Voici ce que je ferais : je prendrais l’argent et les bijoux, puis, au sortir de la maison, je me rendrais, sans une minute de retard, dans un endroit clos et solitaire, une cour ou un jardin