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— Plus tard ! Je veux dormir ! Laisse-moi…

Il se tourna par un mouvement convulsif du côté du mur ; Nastasia se retira.

VI

Mais, dès qu’elle fut sortie, il se leva, ferma la porte au crochet et se mit à revêtir les effets que Razoumikhine lui avait apportés peu auparavant. Chose bizarre, un apaisement complet semblait avoir tout à coup succédé chez Raskolnikoff à la frénésie de tantôt et à la terreur panique de ces derniers jours. C’était la première minute d’une tranquillité étrange, soudaine. Nets et précis, les mouvements du jeune homme dénotaient une résolution énergique. « Aujourd’hui même, aujourd’hui même !… » murmurait-il à part soi. Il comprenait pourtant qu’il était encore faible, mais l’extrême tension morale à laquelle il devait son calme lui donnait des forces et de l’assurance ; d’ailleurs, il espérait ne pas tomber dans la rue. Après s’être complétement habillé de neuf, il regarda l’argent placé sur la table, réfléchit un instant et le mit dans sa poche.

La somme se montait à vingt-cinq roubles. Il prit aussi toute la monnaie de cuivre qui restait sur les dix roubles dépensés par Razoumikhine pour l’achat des vêtements. Ensuite, il ouvrit tout doucement la porte, sortit de sa chambre et descendit l’escalier. En passant devant la cuisine grande ouverte, il y jeta un coup d’œil : Nastasia lui tournait le dos, elle était en train de souffler sur le samovar de la logeuse, et elle n’entendit rien. D’ailleurs, qui aurait pu prévoir cette fugue ? Un instant après, il se trouvait dans la rue.