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Les seules données psychologiques peuvent mettre sur la vraie piste. « Nous avons des faits ! » disent-ils. Mais les faits ne sont pas tout ; la manière de les interpréter est pour moitié au moins dans le succès d’une instruction !

— Et toi, tu sais interpréter les faits ?

— Vois-tu, il est impossible de se taire quand on sent, quand on a l’intime conviction qu’on pourrait aider à la découverte de la vérité, si… Eh !… Tu connais les détails de l’affaire ?

— Tu m’avais parlé d’un peintre en bâtiments : j’attends toujours son histoire.

— Eh bien, écoute. Le surlendemain du meurtre, dans la matinée, tandis que la police instruisait encore contre Koch et Pestriakoff, malgré les explications parfaitement catégoriques fournies par eux, surgit tout à coup un incident des plus inattendus. Un certain Douchkine, paysan qui tient un cabaret en face de la maison du crime, apporta au commissariat un écrin renfermant des boucles d’oreilles en or, et il raconta toute une histoire : «  Avant-hier soir, un peu après huit heures », — remarque cette coïncidence ! — « Nikolai, un ouvrier peintre qui fréquente mon établissement, est venu me prier de lui prêter deux roubles sur les boucles d’oreilles, contenues dans cette petite boîte. À ma question : Où as-tu pris cela ? il a répondu qu’il l’avait ramassé sur le trottoir. Je ne lui en ai pas demandé davantage », — c’est Douchkine qui parle, — « et je lui ai donné un petit billet », — c’est-à-dire un rouble, — car, me suis-je dit, si je ne prends pas cet objet, un autre le prendra, et il vaut mieux qu’il soit entre mes mains : si l’on vient à le réclamer, si j’apprends qu’il a été volé, j’irai le porter à la police. »

Bien entendu, en parlant ainsi, il mentait effrontément : je connais ce Douchkine, c’est un recéleur, et quand il a subtilisé à Nikolaï un objet de trente roubles, il n’avait nullement l’intention de le remettre à la police ; il ne s’est décidé