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Il souriait même d’avoir pu songer à cela quand, soudain, il fut pris d’une inquiétude terrible : si, par hasard, la vieille n’était pas encore morte, si elle reprenait ses sens ? Laissant là les clefs et la commode, il courut vivement auprès du corps, saisit la hache et s’apprêta à en porter un nouveau coup à sa victime, mais l’arme déjà levée ne s’abattit point : il n’y avait pas à douter qu’Aléna Ivanovna fût morte. En se penchant de nouveau vers elle pour l’examiner de plus près ; Raskolnikoff constata que le crâne était fracassé. Une mare de sang s’était formée sur le parquet. Remarquant tout à coup un cordon au cou de la vieille, le jeune homme le tira violemment, mais le cordon ensanglanté était solide et ne se rompit point.

L’assassin essaya alors de l’enlever en le faisant glisser le long du corps. Il ne fut pas plus heureux dans cette seconde tentative, le cordon rencontra un obstacle et se refusa à glisser. Impatienté, Raskolnikoff brandit la hache, prêt à en frapper le cadavre pour trancher du même coup ce maudit lacet ; toutefois, il ne put se résoudre à procéder avec cette brutalité. Enfin, après deux minutes d’efforts, qui lui rougirent les mains, il parvint à couper le cordon avec le tranchant de la hache, sans entamer le corps de la morte. Ainsi qu’il l’avait supposé, c’était une bourse que la vieille portait au cou. Il y avait encore, suspendues au cordon, une petite médaille émaillée et deux croix, l’une en bois de cyprès, l’autre en cuivre. La bourse crasseuse, — un petit sac en peau de chamois, — était absolument bondée. Raskolnikoff la mit dans sa poche sans s’assurer du contenu ; il jeta les croix sur la poitrine de la vieille, et, prenant cette fois la hache avec lui, il rentra en toute hâte dans la chambre à coucher.

Son impatience était extrême, il saisit les clefs et se remit à la besogne. Mais ses tentatives pour ouvrir la commode restaient infructueuses, ce qu’il fallait attribuer moins encore au tremblement de ses mains qu’à ses méprises continuelles ;