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j’avais consenti, je m’étais engagé tacitement pour toujours. « Ce n’est pas long, pensai-je, de donner une parole qui vous lie pour la vie ! Et je n’ai pas seulement vu ma fiancée ! »

Et puis, d’où venait cette animosité générale à mon égard ? Pourquoi mon arrivée leur apparaissait-elle comme une provocation, selon mon oncle ? Quelles étaient ces craintes, ces inquiétudes ? Que signifiait ce mystère ? Tout cela me sembla toucher à la folie et mes rêves héroïques et romanesques s’envolèrent à tire-d’aile au premier choc avec la réalité. Ce n’est qu’à ce moment que m’apparut toute l’absurdité de la proposition de mon oncle. En pareille occurrence, une idée de ce calibre ne pouvait venir à l’esprit de personne autre que lui. Je compris aussi que le fait d’être accouru à bride abattue et tout ravi dès le premier mot ressemblait beaucoup à celui d’un sot. Absorbé dans ces pensées troublantes, je m’habillais à la hâte et je n’avais pas remarqué le domestique qui me servait. Soudain, il prit la parole avec une politesse extrême et doucereuse :

— Quelle cravate Monsieur mettra-t-il, la cravate Adélaïde ou la quadrillée ?

Je le regardai et il me parut digne d’examen. C’était un homme jeune encore et fort bien habillé pour un valet ; on eût dit un petit maître