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Oh ! que je suis heureuse ! Nastenka, mon amie, tu n’es pas riche, je veux te donner trente mille roubles ! Accepte-les, pour l’amour de Dieu ! Je n’en ai pas besoin, tu sais, il m’en reste encore beaucoup. Non, non, non ! — cria-t-elle avec de grands gestes en voyant Nastia prête à refuser. — Taisez-vous aussi, Yégor Ilitch, cela ne vous regarde pas. Non, Nastia, je veux te faire ce cadeau, il y a longtemps que j’avais l’intention de te donner cette somme, mais j’attendais ton premier amour… Je me mirerai dans votre bonheur. Tu me feras beaucoup de chagrin si tu n’acceptes pas, je vais pleurer. Nastia ! Non, non et non !

Tatiana était dans un tel ravissement qu’il eût été cruel de la contrarier, en ce moment du moins. On remit donc l’affaire à plus tard. Elle se précipita pour embrasser la générale, la Pérépélitzina, tout le monde. Bakhtchéiev s’approcha d’elle et lui baisa la main.

— Ma petite mère ! ma tourterelle ! Pardonne à un vieil imbécile, je n’avais pas compris ton cœur d’or !

— Quel fou ! Je te connais depuis longtemps, moi ! fit Tatiana pleine d’enjouement. Elle lui donna de son gant une tape sur le nez et passa, plus légère qu’un zéphyr, en le frôlant de sa robe