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— Gavrilo ! Prends cet argent pour toi ! fit Foma avec une grande douceur. Il pourra t’être utile, vieillard. Mais non ! cria-t-il tout à coup en se levant précipitamment. Non ! Donne-le, Gavrilo, donne-le ! Donne-moi ces millions que je les piétine, que je les déchire, que je crache dessus, que je les éparpille, que je les souille, que je les déshonore !… On m’offre de l’argent, à moi ! On achète ma désertion de cette maison ! Est-ce bien moi qui entendis de pareilles choses ! Est-ce bien moi qui encourus ce dernier opprobre ? Les voici, les voici, vos millions ! Regardez : les voici ! les voici ! les voici ! Voilà comment agit Foma Opiskine, si vous ne le saviez pas encore, colonel !

Foma éparpilla la liasse à travers la chambre. Notez qu’il ne déchira aucun des billets, et qu’il ne les piétina pas plus qu’il ne cracha dessus, ainsi qu’il se vantait de le faire. Il se contenta de les froisser, non sans quelques précautions. Gavrilo se précipita pour ramasser l’argent qu’il remit à son maître après que Foma fut parti.

Cette conduite de Foma eut le don de stupéfier mon oncle. À son tour, il restait là, immobile, ahuri, la bouche ouverte, devant le parasite qui était retombé dans le fauteuil et haletait comme en proie à la plus indicible émotion.