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de travailler pour nourrir sa famille, ce paysan s’enivra et, oubliant sa pelisse au cabaret, se mit à courir par les rues en état d’ivresse. Tel est le sujet bien connu de ce poème qui glorifie l’ivrognerie. Ne vous inquiétez pas ; il sait, maintenant, ce qu’il doit répondre. Eh bien réponds ; qu’a-t-il fait, ce paysan ? Je te l’ai soufflé ; je te l’ai fourré dans la bouche. Mais je veux l’entendre de toi : qu’a-t-il fait ? qu’est-ce qui lui a mérité cette gloire immortelle que chantent les troubadours ? Eh bien ?

L’infortuné Falaléi jetait autour de lui des regards angoissés. Ne sachant que répondre, il ouvrait et fermait alternativement la bouche comme un poisson pêché qui agonise sur le sable.

— J’aurais honte de le dire ! dit-il enfin au comble de la détresse.

— Ah ! il a honte de le dire ! triompha Foma. Voilà ce que je voulais lui faire avouer, colonel ! On a honte de le dire, mais non de le faire ! Telle est la moralité que vous avez semée, qui lève et que vous arrosez, maintenant. Mais assez de paroles ; va-t-en dans la cuisine, Falaléi. Pour le moment, je ne te dirai rien par égard pour les personnes qui m’entourent, mais tu seras cruellement puni aujourd’hui même. Si on me l’interdit, si, cette fois encore, on te fait passer avant