Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/148

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je m’approche de la glace et je m’y contemple, poursuivit solennellement Foma. Je suis loin de me prendre pour une beauté, mais j’ai dû arriver à cette conclusion forcée qu’il y a dans mon œil gris quelque chose qui me distingue d’un Falaléi. Il exprime la pensée, cet œil, et la vie, et l’intelligence ! Je ne cherche pas à m’exalter personnellement ; mes paroles s’appliquent à la généralité de notre classe. Eh bien, pensez-vous qu’on puisse trouver en ce beefteak ambulant la moindre parcelle d’âme ? Vraiment, remarquez, Paul Sémionovitch, chez ces hommes totalement privés d’idéal et de pensée et qui ne mangent que de la viande, comme le teint est frais, mais d’une fraîcheur grossière, répugnante, bête ! Voulez-vous connaître la valeur exacte de sa capacité intellectuelle ? Hé ! toi, l’objet, approche un peu qu’on t’admire. Qu’as-tu à ouvrir la bouche ? Tu veux avaler une baleine ? Es-tu beau ? Réponds : es-tu beau ?

— Je suis… beau ! répondit Falaléi avec des sanglots étouffés.

Obnoskine partit d’un éclat de rire.

— Vous l’avez entendu ? lui cria triomphalement Foma. Il va vous en dire bien d’autres. Je suis venu lui faire passer un examen. Sachez, Paul Sémionovitch, qu’il est des gens pour