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tout cela, il affectait de ne pas désarmer ; il continuait à annoncer de temps en temps, comme un défi, la prochaine publication de son poème les États du Diable. Il répétait que cette œuvre clorait la série des pièces où il avait montré la férocité du fanatisme religieux. Il assurait qu’il lui restait quelque chose à dire après Hiéronymus, l’Holocauste, les Deux Glaives, le Corbeau, les Siècles maudits, la Bête écarlate ; qu’il voulait faire, une bonne fois, défiler devant lui tous ces tourmenteurs d’hommes qui se sont masqués de la foi pour exploiter la créature humaine : il voulait les marquer au fer rouge dans un poème dantesque. Il disait :

« Ce diable qui les jugera tous, ce sera moi. »

Une citation empruntée à ce poème prouvera que la verve du poète avait trouvé là une magnifique occasion de s’exercer. Le pape Borgia harangue Satan[1] :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

BORGIA.

Ô délices passées !
Ô plats d’or qui chargiez les nappes damassées !
Marsala, syracuse, alicante et muscat !
Ô soupers bienheureux de mon pontificat,
Coupes, flambeaux, vaisselle étincelante ! Ô joie,
Ô beaux corps enlacés sur les tapis de soie,
Murmures des baisers pleuvant sur des seins nus,
Rêves du Paradis, qu’êtes-vous devenus ?
Qu’il était doux, couché dans la pourpre romaine,

  1. Ce poème n’a jamais été achevé. Un fragment en a seul été publié dans la République des lettres (Août 1876).