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étaient un mélange de vif enthousiasme pour le poète, et de médiocre estime pour le penseur, le lettré et le savant. Lui, qui poussait jusqu’à l’extrême le souci de reproduire exactement les mœurs, les idées, l’âme des divers peuples dont il s’occupait, il était choqué de l’indifférence absolue que Hugo affectait pour ces matières. Il ne lui pardonnait pas sa profonde ignorance des questions historiques et scientifiques. Il lui en voulait de sa vanité, de sa recherche de la popularité, de ses concessions, allant jusqu’à la faiblesse, sur le terrain politique ; enfin il reprochait à Hugo sa sécheresse de cœur, son insensibilité, ses émotions « toutes de parade, disait-il, tout artificielles, faites pour émouvoir les autres, et qu’il étalait sans les sentir ».

On trouve encore dans ses papiers, à l’occasion d’une définition : De l’expression et de la forme poétique, ce jugement qu’il développait souvent dans l’intimité :

« Toute pensée est nécessairement une parole intérieure rendue sensible. La forme est la combinaison ordonnée des divers états de l’expression. Il ne faut donc pas confondre les deux termes. — Ainsi l’abondance verbale de Victor Hugo est prodigieuse, mais la forme proprement dite lui fait souvent défaut. Ses images sont incohérentes ; il les accumule sans mesure dans une éclatante confusion, de sorte que ses poèmes, dont certaines parties sont admirables, n’offrent presque jamais une composition parfaite.

« Il en est de même de la prosodie et du rythme : on