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à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes[1]. »

Le seul moyen de réagir contre cette universelle niaiserie était d’interdire énergiquement l’entrée du sanctuaire de l’art à tous les indignes. Un groupe de poètes et de prosateurs s’imposa, comme une règle de religion, le culte de la forme pure. Prenant pour Credo la formule de « l’art pour l’art », ils s’interdirent la préoccupation de moraliser ; ils anathématisèrent « l’art prêcheur » ; ils déclarèrent que l’art est son « but » à soi-même, et ne peut être ravalé au rôle de « moyen ». Dans cette pensée, quelques-uns allèrent jusqu’à s’imposer l’impassibilité olympienne ; ils refusèrent d’intervenir avec leurs sentiments individuels et humains dans la beauté d’un récit ; ils refoulèrent toute leur passion en eux-mêmes, et prétendirent dominer la foule du haut de leur sérénité.

On a justement remarqué que, dans les volumes de Leconte de Lisle, publiés cependant à des époques très différentes de sa vie[2], très peu des pièces de vers qu’ils contiennent portent des dates. Les Revues seules peu-

  1. Madame Bovary.
  2. Poèmes antiques, chez M. Ducloux, 1852 ; Poèmes et Poésies, chez Dentu, 1855 ; Poèmes barbares, chez Poulet-Malassis, 1862 ; Poèmes tragiques, chez Lemerre, 1872 ; Poèmes antiques, chez Lemerre, 1874 ; Poèmes tragiques, chez Lemerre, 1884.