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On rapporta ce propos à l’Empereur qui répliqua en souriant :

« C’est M. Leconte de Lisle qui a raison, et je veux lui assurer une pension sur ma cassette particulière. »

Cette pension de trois cents francs par mois, donnée cette fois sans condition, et servie jusqu’à la fin de l’Empire, aida Leconte de Lisle à écrire tant de chefs-d’œuvre. Certes, le public continuait d’ignorer Leconte de Lisle ; le manuscrit des Poèmes antiques était demeuré des années dans un tiroir, mais on peut dire que le poète souffrit à peine de ces injustices. Il écrivait pour soi, pour la joie d’user d’un don divin, pour l’émotion des amis qu’il admettait dans le secret de sa pensée. C’était le groupe des poètes qui furent les Parnassiens. Autour du maître admiré, tous s’étaient groupés, ardents et enthousiastes : Dierx, Glatigny, Anatole France, Henry Houssaye, Frédéric Plessis, Villiers de l’Isle-Adam, Mendès, Silvestre, Jean Lahor, Coppée, Sully Prudhomme, J.-M. de Heredia. Sous la direction de Leconte de Lisle, toute cette jeunesse se liguait pour combattre la poétique régnante.

C’était le moment où triomphait le goût élégiaque. Les romances, la fausse sentimentalité empruntée à l’école anglaise des « Lakistes », l’abus du « keepsake » dans l’art et dans la littérature, le règne des médiocres imitateurs de Lamartine aboutissaient à des fadeurs, dont les artistes sincères étaient écœurés : « Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, dames persécutées s’évanouissant dans les pavillons solitaires, postillons que l’on tue