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entreprenant le récit de l’enquête officielle faite par le commandant Lamy sur les événements tragiques de la mission Voulet-Chanoine, Dorian avait vu clair dans son propre cœur.

Il avait, avec le commandant Lamy, reçu les dépositions des témoins qui avaient vu le colonel Klobb tomber sous les balles françaises. Il avait foulé le sol maudit de Dankori, pris de ses propres mains la misérable couverture où gisaient les restes du colonel et avait rapporté à Zinder ces chers ossements pour les réunir à ceux de Cazemajou et d’Olive, dans une cérémonie inoubliable, où il avait, au nom de la France, salué ces martyrs.

Toutes ces choses avaient pris à ses yeux, Je le répète, leurs vraies proportions et leur vraie place, à Paris.

Enfin, s’il faut tout dire, Dorian aimait passionnément l’Armée. Il la voulait sans tache, impeccable, respectée, comme celui qui, pour lui, en était l’image vivante : son cher commandant Lamy. Les officiers Reibell, de Thézillat, Verlet (qui a si bien parlé sur sa tombe), Fournial et tous les autres savent quel était son amour pour l’armée.

Quand la mission saharienne, à Zinder, passe devant le drapeau de la mission Voulet-Chanoine et le salue, comme c’est le devoir, Dorian dit dans son livre ce mot simple et qui donne le frisson : « Il m’a semblé que ce drapeau n’avait pas les mêmes couleurs que le nôtre. »

Et alors, de cet amour même pour l’armée naît la volonté, non pas de taire et de pallier le crime des capitaines mais de dire toute la vérité sur l’assassinat de Dankori, sans rien exagérer, mais sans rien omettre.

« Il faut, me disait-il, que toute l’armée connaisse les moindres détails de ce crime, pour en inspirer à tout jamais l’horreur à tout ce qui porte un uniforme français. On a rien dit d’exact là-dessus, je dirai, moi, la vérité. »

Il avait raison. C’est en sondant ses plaies, c’est en les brûlant au fer rouge et non en les dissimulant, en les fardant, qu’on peut les guérir et en effacer jusqu’au souvenir.

Oui, Charles Dorian avait une âme de héros, simple et bonne, dans un corps de désœuvré à qui la fortune avait enlevé, hélas ! le souci de l’existence. Mais il avait senti, soudain, dur-