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Gil Blas, 3 mai 1904.

CHARLES DORIAN

INCONNU



Je veux vous soumettre, mon cher Périvier, un cas de conscience littéraire et en faire juges les lecteurs de Gil Blas.


Voici :


Le matin où Charles Dorian tomba sur le parquet de sa salle à manger, comme frappé par un coup de massue, il tenait à la main l’épreuve de la dernière feuille de son livre : Un Député au Sahara.

Il m’avait choisi pour rédiger ses notes de voyage, pour imprimer son livre, et pour l’éditer.

J’avais ainsi la triple qualité de collaborateur, d’imprimeur et d’éditeur de cet ouvrage, auquel Charles Dorian tenait — je puis le dire — plus qu’à sa vie, car il en parlait sans cesse, dans ses derniers jours, à son frère, à son gendre Hugo, à Colombet, son vieil ami. C’était une obsession de toutes les heures. Il me répétait, sans cesse, durant nos sept mois de travail acharné : « Dépêchons-nous, je n’irai pas jusqu’au bout ! » Et il riait ; mais, il se savait condamné, et, chaque jour, l’angoisse l’étreignait plus fort de mourir avant de s’être révélé l’homme que personne n’avait soupçonné, que lui-même avait ignoré longtemps, et que seul je connaissais.

On va me comprendre :

J’avais, d’abord, accepté la tâche d’aider Charles, dans la mise au point de son livre, un peu à la légère, et, lui aussi, ne voulait faire, à l’origine, qu’un petit récit d’excursion, avec son journal de marche et les observations, nécessairement un peu banales, d’un curieux.

Puis, insensiblement, il avait été empoigné par son propre sujet, et je pourrais presque dire, par lui-même.

Le pèlerinage au tombeau de Flatters lui était apparu comme une chose presque sacrée, dont