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maison de la Flèche, afin qu’on n’attendit pas après elle, quand on serait prêt de partir. Or ce coup, c’était un coup du ciel, et comme les affaires de Dieu ne se font jamais sans de grandes difficultés pour l’ordinaire, celle-ci n’en manqua pas. Quand il fut question de l’exécuter, Mgr. d’Angers se trouva si difficile pour son obédience qu’on désespéra quasi de l’avoir ; Mr. de la Doversière, qui était le principal arc boutant de l’affaire et sans lequel il n’y avait rien à espérer pour elle, se trouva si mal, que trois jours avant de partir, il fut en danger de mort et les médecins jugèrent qu’il ne relèverait pas de cette maladie ; mais Dieu qui voulait seulement sceller cette entreprise du sceau de sa croix et non pas la détruire, voulut que dans deux jours, il fut assez rétabli pour entreprendre le voyage de La Rochelle le lendemain ; il ne manquait pour cela que l’obédience de Mgr. d’Angers qui arriva le même jour que la restitution de sa santé, ce qui fît qu’on résolut de partir la journée suivante, cela étant su dans la ville, il se fit une émeute populaire, chacun murmura et dit : Mr. de la Doversière fait amener des filles par force en ce couvent, il les veut enlever cette nuit, il faut l’en empêcher ; Voilà tout le monde par les rues ; chacun fit le guet de son côté ; plusieurs disaient en se l’imaginant : " En voilà que nous entendons crier miséricorde.” Enfin plusieurs ne se couchèrent point cette nuit-là pour ce sujet dans la ville de La Flèche. Néanmoins à dix heures du matin, on se résolut de les faire partir ; mais pour en venir à bout, on y eut bien de la peine ; il fallut que Mr. St. André et les autres qui devaient les assister pendant leur voyage missent l’épée à la main et fissent écarter le peuple par les impressions de la crainte, ce qui n’est pas difficile dans les villes champêtres qui ne sont pas frontières : étant sorties, elles firent le chemin jusqu’à La Rochelle avec une grande joie et le désir de se sacrifier entièrement pour Dieu ; il est vrai qu’elles avaient besoin d’être dans cette disposition car elles eurent bien des épreuves, même dès à La Rochelle où on leur voulut persuader qu’on les renverrait du Canada la même année sans vouloir d’elles : de plus comme les deniers se trouvèrent employés, elles se trouvèrent fort embarrassées de quoi payer le fret qu’elles n’avaient pas réservé à cause de la multitude des denrées dont on avait besoin, embarras où se trouvèrent aussi deux prêtres du séminaire de St. Sulpice qui partaient cette année-là pour Montréal, où depuis, ils ont été tués par les Iroquois. La peine qu’ils eurent tous deux avec Mlle. Mance fut telle qu’on ne les voulait pas embarquer à moins qu’ils eussent de l’argent de quoi payer ; cependant ils étaient 110 personnes auxquelles il fallait pourvoir, vous voyez assez qu’elle pouvait être sa mortification ; c’est pourquoi nous passons