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parler tant pour l’infériorité de son genou que pour les faiblesses que lui avait causées sa saignée, que pour aussi la difficulté des neiges qui étaient pour lors très mauvaises surtout à un nouveau Canadien qui n’avait jamais marché en raquette et qui avait un fardeau sur ses épaules pendant une partie du chemin ; quand il fut à St. Louis on lui refusa de l’escorter 24 heures durant, mais à la fin comme on le vit résolu de partir nonobstant, on lui donna dix hommes dont un enseigne demanda le commandement pour l’amitié qu’il lui portait. La providence est admirable, il ne croit jamais avoir tant souffert que pendant ces 24 heures où il lui eut été impossible de marcher, ce qu’il dissimulait de son mieux, crainte qu’on ne lui fit encore plus de difficultés à lui donner de l’escorte et sans qu’on sut son mal on lui donna du temps pour se reposer, après quoi on lui donna ce monde et il partit, quoiqu’il eut ordre de son supérieur de ne pas passer outre qu’il n’eut 25 ou 30 hommes, parcequ’il est vrai qu’il avait un tort pressentiment des misères que nous verrons qu’il trouva au fort Ste. Anne lors de son arrivée ; y allant, il ne trouva rien autre chose de remarquable si ce n’est la difficulté des glaces qui le mit beaucoup en péril et même une fois,on croyait un soldat perdu parceque la glace ayant rompu sous lui et s’étant retenu avec son fusil sans couler tout-à-fait à fond, il ne pouvait remonter sur la glace à cause de ses raquettes qu’il avait aux pieds : l’ecclésiastique le voyant en si proche et manifeste péril pour l’amour de lui crut qu’il se devait hasarder pour le tirer de là, ce qu’il fit ; après s’être armé du signe de la croix, il alla à lui et le prit par les bras, mais cet homme étant si pesant et embarassé avec ses raquettes qu’il ne le pouvait tirer qu’à demi ; c’est pourquoi il demanda du secours, mais personne n’était d’humeur à lui aider en cette rencontre sans que ayant assuré M. Darienne qui était l’enseigne dont nous avons parlé, que la glace était fort bonne sur le bord du trou, il vint lui-même n’osant pas faire de commandement à personne, étant venus, ils tirèrent tous deux ce grand corps et l’allèrent faire chauffer au plus vite remerciant Dieu de l’avoir tiré de là. Mais passons outre et approchons du fort Ste. Anne, car on y crie déjà depuis plusieurs jours et on y appelle un prêtre, déjà deux soldats sont morts sans ce secours et l’un d’eux en a demandé un huit jours entiers sans l’avoir pu obtenir, mourant dans ce regret ; plusieurs moribonds jettaient vers le ciel la même clameur, lorsqu’à ce moment, il leur en envoya un pour les assister. Ces soupirs, ces attentes et ces désirs firent que tant loin qu’on le vit sur le lac Champlain qui environnait ce fort, on alla donner l’avis à M. Lamothe qui commandait ce lieu là ; lui sachant cette nouvelle sortit incontinent avec Mes-