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manières distinguées, et il était aimé de tous ceux qui rapprochaient. Il est fils d’Akbar Schâh II qui, en 1806, fut placé par les Mahrattes sur le trône de Delhi, et à qui il succéda le 28 septembre 1837.

Du vivant de son père, lorsqu’il était prince royal, il se nommait Mirza Abû Zafar (Père de la victoire) Khan Bahâdur. De ces noms il tira celui de Zafar pour en faire son takhallus ou surnom poétique, car il ne cessa d’occuper son temps à la culture de la poésie avant et après son accession au trône, jusqu’au moment de la malheureuse insurrection qui alla le trouver dans son paisible palais.

Petit-fils de l’empereur Schah alam et neveu du prince Sulaïman Schikoh, lesquels sous les noms d’Aftâb (Soleil) et de Schikoh (Énergie) cultivèrent avec un talent remarquable la poésie hindoustanie, Zafar a marché honorablement sur leurs traces. Son maître dans l’art des vers fut le schaïkh Ibrâhim Zauc, écrivain distingué, qui lui a toujours donné d’utiles conseils pour ses productions. Les biographes Schefta et Karim, poëtes eux-mêmes, font le plus grand éloge des qualités intellectuelles et morales de Zafar : ils le placent au premier rang des poëtes actuels, et en effet ses compositions ont de l’originalité et sont d’une bonne facture, Zafar a abordé tous les genres de poésie, et plusieurs de ses gazais, de ses guîts et de ses thumris sont devenus populaires, et sont chantés dans les lieux publics et par les femmes dans l’intérieur des maisons. Il est auteur entre autres d’un volumineux Divan (Divvân-i Zafar) qui a été imprimé à Delhi, et dont Schefta et Karim ont cité de nombreux extraits. On lui doit aussi un commentaire du Gulistan (Scharh-i Gulistan) qui a été imprimé. Ce prince est de plus habile calligraphe, et il a écrit de sa main des passages du Coran pour l’ornement de la principale mosquée de Delhi. À son exemple, son fils le mirza Dara-bakht Bahadur a aussi écrit des gazals hindoustanis qui le font considérer par les biographes Cacim, Sarwar et Karim, comme un des meilleurs poëtes contemporains. Espérons qu’il n’aura pas péri et qu’il pourra, endossant, s’il le faut, le froc des faquirs, se livrer encore à ses goûts littéraires.

Dans quel état doit être aujourd’hui cette malheureuse ville de Delhi ! Il est à craindre qu’aucun de ses monuments ne soit resté intact. Déjà avant la dernière insurrection bien des édifices de cette ville célèbre étaient en ruine par suite des guerres et des révolutions : ses cascades et ses jets d’eau qui rivalisaient avec ceux de Versailles