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alors tout ce que les autres ont dit, tout ce que j’ai lu, et j’y ajoute tout ce qui sort de mon fonds, qui est en ce genre d’une fécondité surprenante.

MOI. — Vous avez bien fait de me révéler ces mystères, sans quoi je vous aurais cru en contradiction.

LUI. — Je n’y suis point ; car pour une fois où il faut éviter le ridicule, heureusement il y en a cent où il faut s’en donner. Il n’y a pas de meilleur rôle auprès des grands que celui de fou. Longtemps il y a eu le fou du roi en titre, en aucun il n’y a eu en titre le sage du roi. Moi, je suis le fou de Bertin et de beaucoup d’autres, le vôtre peut-être dans ce moment, ou peut-être vous le mien : celui qui serait sage n’aurait point de fou ; celui donc qui a un fou n’est pas sage ; s’il n’est pas sage il est fou, et peut-être, fût-il le roi, le fou de son fou. Au reste, souvenez-vous que, dans un sujet aussi variable que les mœurs, il n’y a rien d’absolument, d’essentiellement, de généralement vrai ou faux ; sinon, qu’il faut être ce que l’intérêt veut qu’on soit, bon ou mauvais, sage ou fou, décent ou ridicule, honnête ou vicieux. Si par hasard la vertu avait conduit