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si fâcheux, si insociables ? C’est qu’ils se sont imposé une tâche qui ne leur est pas naturelle ; ils souffrent, et quand on souffre on fait souffrir les autres : ce n’est pas là mon compte, ni celui de mes protecteurs ; il faut que je sois gai, souple, plaisant, bouffon, drôle. La vertu se fait respecter, et le respect est incommode ; la vertu se fait admirer, et l’admiration n’est pas amusante. J’ai affaire à des gens qui s’ennuient, et il faut que je les fasse rire. Or, c’est le ridicule et la folie qui font rire, il faut donc que je sois ridicule et fou ; et quand la nature ne m’aurait pas fait tel, le plus court serait de le paraître. Heureusement je n’ai pas besoin d’être hypocrite ; il y en a déjà tant de toutes les couleurs, sans compter ceux qui le sont avec eux-mêmes ! Ce chevalier de la Morlière, qui retape son chapeau sur son oreille, qui porte la tête au vent, qui vous regarde le passant par-dessus son épaule, qui fait battre une longue épée sur sa cuisse, qui a l’insulte toute prête pour celui qui n’en porte point, et qui semble adresser un défi à tout venant, que fait-il ? tout ce qu’il peut pour se persuader qu’il est un homme de cœur ; mais il est lâche. Offrez-lui une croquignole sur le bout du