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LUI. — Mais la plus conforme à mon caractère de fainéant, de sot et de vaurien.

MOI. — D’accord.

LUI. — Et puisque je puis faire mon bonheur par des vices qui me sont naturels, que j’ai acquis sans travail, que je conserve sans effort, qui cadrent avec les mœurs de ma nation, qui sont du goût de ceux qui me protègent, et plus analogues à leurs petits besoins particuliers que des vertus qui les gêneraient, en les accusant depuis le matin jusqu’au soir, il serait bien singulier que j’allasse me tourmenter comme une âme damnée pour me bistourner et me faire autre que je ne suis, pour me donner un caractère étranger au mien, des qualités très-estimables, j’y consens pour ne pas disputer, mais qui me coûteraient beaucoup à acquérir, à pratiquer, ne me mèneraient à rien, peut-être à pis que rien, par la satire continuelle des riches auprès desquels les gueux comme moi ont à chercher leur vie. On loue la vertu, mais on la hait, mais on la fuit, mais elle gèle de froid, et dans ce monde il faut avoir les pieds chauds, et puis cela me donnerait de l’humeur infailliblement ; car pourquoi voyons-nous si fréquemment les dévots si durs,