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les devoirs de mon état, dit à celle que j’aime quelques choses tendres et douces qui amènent ses bras autour de mon cou. Je connais telle action que je voudrais avoir faite pour tout ce que je possède. C’est un sublime ouvrage que Mahomet : j’aimerais mieux avoir réhabilité la mémoire de Calas. ― Une personne de ma connaissance s’était réfugiée à Carthagène ; c’était un cadet de famille, dans un pays où la coutume transfère tout le bien aux aînés. Là il apprend que son aîné, enfant gâté, après avoir dépouillé son père et sa mère, trop faciles, de tout ce qu’ils possédaient, les avait expulsés de leur château, et que les bons vieillards languissaient indigents dans une petite ville de la province. Que fait alors ce cadet, qui, traité durement par ses parents, était allé tenter la fortune au loin ? Il leur envoie des secours ; il se hâte d’arranger ses affaires, il revient opulent, il ramène son père et sa mère dans leur domicile, il marie ses sœurs. Ah ! mon cher Rameau, cet homme regardait cet intervalle comme le plus heureux de sa vie, c’est les larmes aux yeux qu’il m’en parlait ; et moi je sens en vous faisant ce récit mon cœur se troubler de joie, et le plaisir me couper la parole.