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LUI. — C’est apparemment qu’il y a pour cela un sens que je n’ai pas, une fibre qui ne m’a point été donnée, une fibre lâche qu’on a beau pincer et qui ne vibre pas ; ou peut-être que j’ai toujours vécu avec de bons musiciens et de méchantes gens, d’où il est arrivé que mon oreille est devenue très-fine et que mon cœur est devenu sourd. Et puis c’est qu’il y avait quelque chose de vrai… le sang… Mon sang est le même que celui de mon père ; la molécule paternelle était dure et obtuse, et cette maudite molécule première s’est assimilé tout le reste.

MOI. — Aimez-vous votre enfant ?

LUI. — Si je l’aime, le petit sauvage ! j’en suis fou.

MOI. — Est-ce que vous ne vous occuperez pas sérieusement d’arrêter en lui l’effet de la maudite molécule paternelle ?

LUI. — J’y travaillerais, je crois, bien inutilement. S’il est destiné à devenir un homme de bien, je n’y nuirai pas ; mais si la molécule voulait qu’il fût un vaurien comme son père, les peines que j’aurais prises pour en faire un homme honnête lui seraient très-nuisibles. L’éducation croisant sans cesse la pente de la molécule,