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monte la syllabe d’exclamation au ton le plus élevé et le plus aigu, et descend les autres au ton le plus grave et le plus bas, faisant l’octave ou même un plus grand intervalle, et donnant à chaque passion la quantité qui convient au tour de la mélodie, sans que l’oreille soit offensée, sans que ni la syllabe longue ni la syllabe brève aient conservé la longueur ou la brièveté du discours tranquille. Quel chemin nous avons fait depuis le temps où nous citions la parenthèse d’Armide : le Vainqueur de Renaud, si quelqu’un le peut être, l’Obéissons sans balancer, des Indes galantes, comme des prodiges de déclamation musicale ! À présent ces prodiges-là me font hausser les épaules de pitié. Du train dont l’art s’avance, je ne sais où il aboutira. En attendant, buvons un coup.

Il en but deux, trois, sans savoir ce qu’il faisait. Il allait se noyer comme il s’était épuisé, sans s’en apercevoir, si je n’avais déplacé la bouteille qu’il cherchait, de distraction. Alors je lui dis :

— Comment se fait-il qu’avec un tact aussi fin, une si grande sensibilité pour les beautés de l’art musical, vous soyez aussi aveugle en morale, aussi insensible aux charmes de la vertu ?