Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ses joues se mêlait à la poudre de ses cheveux, ruisselait et sillonnait le haut de son habit. Que ne lui vis-je pas faire ? Il pleurait, il riait, il soupirait, il regardait ou attendri, ou tranquille, ou furieux : c’était une femme qui se pâme de douleur, c’était un malheureux livré à tout son désespoir ; un temple qui s’élève ; des oiseaux qui se taisent au soleil couchant ; des eaux ou qui murmurent dans un lieu solitaire et frais, ou qui descendent en torrent du haut des montagnes ; un orage, une tempête, la plainte de ceux qui vont périr, mêlée au sifflement des vents, au fracas du tonnerre. C’était la nuit avec ses ténèbres, c’était l’ombre et le silence, car le silence même se peint par des sons. Sa tête était tout à fait perdue. Épuisé de fatigue, tel qu’un homme qui sort d’un profond sommeil ou d’une longue distraction, il resta immobile, stupide, étonné ; il tournait ses regards autour de lui comme un homme égaré qui cherche à reconnaître le lieu où il se trouve ; il attendait le retour de ses forces et de ses esprits ; il essuyait machinalement son visage. Semblable à celui qui verrait à son réveil son lit environné d’un grand nombre de personnes, dans un entier oubli ou dans une profonde ignorance